Saturday 2 January 2010

Liberté à tout prix


Le numéro de décembre des Cahiers du Cinéma est d´un contenu très particulier. Non pas parce que c’est le dernier numéro de l’année et que, comme le stipule l’habitude, il contient un recensement des meilleures productions cinématographique de l’année, mais c’est surtout par le dossier spécial consacré à Tetro le nouveau film de Francis Ford Coppola. Pourtant, le film ne vient pas en tête des top dix des rédacteurs de la revue. Or, en faisant cela, l’équipe de la revue française ne rend pas seulement un hommage à l’un des grands maitres du septième art de notre temps, mais elle met en relief une expérience cinématographique authentique. Cela n’est pas sans rappeler la polémique qui avait entouré son absence de la compétition officielle au Festival de Cannes et sa programmation en ouverture de la Quinzaine des Rélaisateurs.
Un film qui suscite tant les débats et les désarrois ne peut pas manquer d’intérêt. Dans le parcours de Coppola, Tetro constitue un tournant qui suscite une attention particulière. Son auteur ne manque pas de gloire morale, ni de succès commercial. L’Histoire du cinéma retiendra les titres de ses films comme le Parrain (I, II, III), Apocalypse now, Rusty James etc… comme des chefs d’œuvre incontournables qui auront marqué et l’esthétique du septième art et l’histoire des habitudes de la consommation de l’image. En effet, tous ont imposé un respect incontestable et ont réalisé des bénéfices des plus importants dans l’histoire de l’industrie hollywoodienne. C’est que Coppola a su trouver la bonne équation entre l’implication personnelle en tant qu’auteur et le flirt avec la machine de Hollywood. Il a fait des compromis quand il a fallu, mais il a toujours pu prendre du recul et se préserver un espace de création qui lui garantissait la marge d’indépendance dont il a besoin.
Il semble que la production de Tetro soit l’une des expériences où le cinéaste a voulu être le plus indépendant possible. Cela est d’autant plus difficile après plusieurs productions typiquement industrio-commerciales. L’on sait combien cela est difficile pour celui qui n’a pas le moindre problème à se faire recruter par les grandes maisons de production sinon sa volonté de liberté et son droit d’artiste. Il y va d’une force de caractère extrêmement grande pour décider de se passer du luxe de la production hollywoodienne et de s’engager, bien volontiers, dans une production indépendante dans tous les sens du terme. C’est que la logique de la production dépend profondément d’une idée du cinéma, en cela réside la leçon que l’on peut tirer de l’expérience exceptionnelle de Coppola et de son film Tetro.
S’il ne fallait retenir qu’une leçon sera bien celle de l’indépendance à tout prix. Pour cela l’auteur d’Apocalypse now revient à l’esprit qui l’animait quand il était jeune et qu’il créait sa propre société de production en dehors de Hollywood, American zoetrope. C’est avec les moyens de cette compagnie et son argent personnel de son entreprise viticole que le film a été produit. Cela signifie donc réduire les possibilités techniques au minimum en fonction des implications budgétaires. Il est inimaginable, ou presque, de penser que Coppola, tourne un film avec du matériel qui puisse tenir en un seul camion. Même en Tunisie cela serait une affirmation risible. Pourtant, c’est ce qu’affirme l’auteur et ses deux principaux complices, Mihai Malaimare Jr son chef op et Walter Murch son fidèle monteur.
Tout simplement, la logique de Coppola dans Tetro « faire du grand avec du petit », est en entière opposition avec celle de la machine hollywoodienne « il faut du grand pour faire du grand ». La nouvelle technologie vient répondre à cette orientation. Coppola choisit, encore un fois après L’Homme sans âge son film précédent, de recourir à la nouvelle technologie en tournant avec des caméras numériques. Le matériel de prise de vue qui coûte le moins cher et qui nécessite moins de techniciens. On pourrait dire : c’est donc pour cela qu’il a choisi un jeune directeur de la photographie de Roumanie. Oui, mais il se trouve que ce chef op. est spécialiste des tournages en pellicules classiques, 16 et 35 mm. Il a appris la maitrise de la technologie numérique sur les deux tournages de Coppola qu’il a assurés. Le tournage s’est donc bien fait en numérique mais avec l’esprit argentique. C’est donc là que réside la clé du rajeunissement que l’on trouve dans le film en plus d’un contenu qui pette d’énergie.
Il en va de même avec le montage. Coppola retrouve son vieux complice, Walter Murch son monteur sur Apocalypse now en 1979 et le Parrain III en 1990. Cette fois il l’emmène dans une aventure numérique. Toutefois, révèle-t-il dans l’entretien accordé aux Cahiers du Cinéma, il n’avait jamais eu le luxe de visionner ses images sur un écran de sept mètres de large. Il faut être complètement libre pour se permettre ce genre de caprice de mêler le final cut, le logiciel numérique de montage, et le visionnage sur un grand écran et non pas sur un écran d’ordinateur ou sur une maviola. Même si le coût d’une telle manœuvre n’est pas important, jamais une production puritaine d’Hollywood n’accorderait cela à un monteur. Cela nécessite une logique de liberté de création qui est hors de portée de l’esprit de la banlieue de Los Angeles.
Pour que Tetro ait toute cette fraicheur et tout ce punch, il fallait le débarrasser de la rouille qui s’est emparé des systèmes de production et a atteint même les neurones créatrices de beaucoup de cinéastes se laissé corrompre par une machine sans âme. L’opération de dégraissage s’est faite grâce à la révision de la logique de production et delà à se procurer une grande marge de liberté au niveau de l’écriture. La technique est venue servir un esprit et on pas le corrompre et l’asservir. La technique est, ou pourrait être, à la portée de tout le monde. Ce qui fait la différence c’est ce que l’on fait avec et l’esprit dans lequel on le fait. Coppola, vieux routard des grosses productions, cinéaste de la plus vieille génération de cinéastes qui existent encore, n’hésite pas à utiliser la nouvelle technologie ni à s’adapter à son temps. Cependant, il ne se laisse pas emporté par l’air du temps comme on dit généralement de ceux qui fondent dans la facilité. La force de son art, Coppola la tient de sa capacité d’imaginer et de penser sans se laisser corrompre par la tentation du luxe auquel il pourrait facilement accéder.