Il n’est pas très fréquent qu’une
première œuvre soit sectionnée en compétition officielle à Cannes. Encore moins
quand il s’agit d’un film venu du Monde Arabe ou d’Afrique. Yomeddine de
A. B. Shawky fait partie de cette liste d’oiseaux rares. Il est en compétition
officielle cette année et concourt aussi pour la Caméra d’Or. C’est là une consécration
en soi pour le cinéma égyptien indépendant. Shawky (32 ans) fait partie d’une génération
de cinéastes égyptiens qui monte depuis quelques années. Il est produit par
Mohamed Hefzy qui n’en est pas à sa première production indépendante qui est
loin de passer inaperçue. Pensons à Microphone (2010/11) d’Ahmad Abdalla
et Ali, La chèvre et Ibrahim (2016) de Sharif El-Bindari pour ne citer
que deux titres.
Yomeddine a les qualités et les défauts d’une
première œuvre. En plus, il partage le style et la sensibilité de cette série
de films mentionnés ci-dessus. La limite entre fiction et documentaire est très
fine à s’y tromper facilement. Les premières images dans un dépôt de déchets où
travaille Beshay font penser tout de suite à un documentaire sur les
déchetteries. On comprendra très vite que le lépreux est le héros d’une fiction
sur cette catégorie de personnes exclues de la société égyptienne. On
comprendra aussi que le film va encore plus loin dans la réflexion sur la
valeur humaine et le sens de la vie.
Le film est un road-movie qui mène Beshay, un lépreux délaissé par sa
famille dès son enfance dans une léproserie au cœur du désert égyptien, vers la
découverte de ses origines. Il est accompagné par Obama, un jeune garçon qui
quitte l’orphelinat et le rejoint pour
partir à la découverte du monde qui se situe en dehors de leur colonie. Les
deux personnages arrivent à leur fin et retrouvent leurs origines mais
choisissent de revenir de là où ils viennent. Le film transcende ainsi le thème
apparent de l’exclusion d’une catégorie de personnes pour offrir une réflexion
sur l’exclusion.
Beshay et Obama repartent en disant à leur société qu’ils la quittent non
pas parce qu’ils sont chassés, mais par choix. Ils ont compris, au bout de
cette remonté du fin fond du désert au monde civilisé, que le plus important
n’est pas de vivre dans la société et d’être accepté par elle, mais l’essentiel
est de vivre dans un monde cohérent. Aussi isolé qu’il soit, leur monde de
lépreux, d’orphelins et de moins-que-rien a une cohérence qui lui est propre.
Ce message fort va de pair avec la structure du film en road-movie. Le
parcours des deux personnes est représenté comme une descente en enfer. Ils
sont dépossédés petit à petit de tout ce qui les rattache au monde d’où ils
viennent. D’abord on leur vole le peu d’argent qu’ils ont. Puis, ils sont
obligés de séparer de la charrette tombée en panne. Ensuite l’âne meurt de fatigue. En parallèle, ils ne
rencontrent que haine et violence au fur et à mesure qu’ils s’approchent de
leur destination : moquerie d’un groupe de jeunes qui refusent de leur
indiquer le chemin, hostilités des baigneurs dans l’eau du Nil, Obama est
blessé à la tête, Besahy est arrêté par la police sans raison, on essaye de
leur voler la charrette et l’âne,… Ils ne reçoivent de l’aide, comme par
hasard, que d’un groupe de mendiants, des exclus comme eux.
Chacune des péripéties est une occasion pour renvoyer à un aspect de la
société égyptienne : l’intolérance envers la différence, le pouvoir
policier, la montée de l’intégrisme, l’incohésion sociale et même le chaos
administratif. Le tout est atténué par un charisme et un grand sens de l’humour
que dégagent les personnages presque par nature. Même la décision de renoncer
au monde, se passe sans pathétisme et dans la joie. Alors que dans le village
des parents de Beshay, on fait la fête, les deux personnages rebroussent chemin
parce qu’ils ont acquis la conviction que leur joie de vivre est ailleurs. La
construction dramatique et le mélange de tons font que l’on oublie presque le
thème de la lèpre. Le spectateur n’est pas du tout rebuté par les cicatrices
sur le visage de Beshay, qui est symboliquement caché par un voile, subterfuge
inventé par Obama. Ce qui reste c’est surtout cette forte volonté de vie dans
la joie et cette interrogation sur le vrai sens de la vie
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