Publié le 23/05/2014 sur www.africine.org
Nuri Bilge Ceylan est le chouchou cannois du cinéma turc. Presque tous ses films sont passés par la croisette et lui ont valu plusieurs prix, sauf la Palme d’or. Avec Winter Sleep, il a toutes les chances pour passer ce cap. Son film précèdent nous avait emmenés au fin fond de sa propre région, l’Anatolie. Le film avait l’air de poème célébrant la terre comme sol dans lequel tout prend racine. Dans celui-ci, l’Anatolie est une terre rocailleuse qui semble protéger ses habitants du froid mais aussi de tout mal. Ce qu’elle ne peut cependant pas c’est les protéger d’eux-mêmes.
Nuri Bilge Ceylan est le chouchou cannois du cinéma turc. Presque tous ses films sont passés par la croisette et lui ont valu plusieurs prix, sauf la Palme d’or. Avec Winter Sleep, il a toutes les chances pour passer ce cap. Son film précèdent nous avait emmenés au fin fond de sa propre région, l’Anatolie. Le film avait l’air de poème célébrant la terre comme sol dans lequel tout prend racine. Dans celui-ci, l’Anatolie est une terre rocailleuse qui semble protéger ses habitants du froid mais aussi de tout mal. Ce qu’elle ne peut cependant pas c’est les protéger d’eux-mêmes.
Les films de
Ceylan ne sont pas citadins même si les personnages sont toujours hantés
par la ville. Dans Il était une fois l’Anatolie, Istanbul restait un
arrière-plan très lointain comme centre du pouvoir institutionnel. Dans Winter
Sleep, elle a une présence plus marquée tout en restant physiquement
absente. Les personnages sont comme prisonniers dans la roche des collines anatoliennes.
La ville, est un arrière-plan psychique qui les hante ; des fois comme un
mal qu’ils ont fuient, d’autres fois comme un bonheur qu’ils regrettent et
d’autres fois encore comme un espoir de salut convoité mais qui ne tarde de se
révéler illusoire.
Toujours est-il,
on dirait que Ceylan, ayant de la suite dans les idées, avait campé son décor
dans Il était une fois l’Anatolie et que dans Winter Sleep il le
fait habiter par des personnages qui sont comme des fantômes ou des esprits qui
hantent les grottes millénaires des steppes. Dans cette atmosphère presque
mythique, Ceylan revient vers les origines de tout, vers des questions primitives
au sens où elles ignorent l’effet du temps. Winter Sleep est une réflexion
où le réalisme crue à la Dostoïevski se mêlerait avec le tragique de Bergman
pour tenter une auscultation du mal.
Les premiers plans
nous livres des paysages fabuleux de la steppe anatolienne avec ses sentiers
sinueux sorti des films de Kiarostami et des rochers pointillés de trous noirs
renvoyant à l’origine des temps lorsque la vie ne connaissait pas d’autres
espaces en dehors de cette matière tectonique dure mais aussi protectrice. En
effet, dans le ventre de cette froideurs, comme des ourses recroquevillés, les
membres d’une famille qui tient un hôtel enclavé dans la roche se côtoient, se
partagent la chaleur des lieux, se déchirent par amour et par tendresse. Ici,
c’est Bergman qui aurait signé ces scènes de confrontation dans lesquelles les
personnages ne montrent pas la moindre hésitation de renvoyer les uns aux
autres leurs images comme des miroirs qui les dénudent de tous les masques. A
quoi servent les masques quand la société n’est plus ?
Chacun des
personnages est un reflet des autres. Il nous les livre dans toute leur nudité
à force de questionnements, de révélations sur le passé, et d’aveux sur soi-même.
Les conversations suivent des courbes presque reproductibles d’une scène à
l’autre avec un rythme progressif. On dirait que le réalisateur est un
sculpteur qui multiplie des coups de scalpel dans une masse de roche pour en
faire sortir des formes humaines. C’est là où on comprend que ce n’est pas un
Bergman aux décors urbains clos et calvinistes qui procède à la mise à nu sans
merci de ses personnages, mais un autre esprit aussi malin qui se bat contre
une matière tectonique. Toutefois ; bien qu’elle paraisse raide de
l’extérieur, elle est toute chaleur et tendresse à l’intérieur comme du coton
de couveuse.
La matière rocheuse
joue un rôle fondamental et évident dans Winter Sleep. Si Mr Ayden, dans
son hôtel arrive à chauffer ses locaux, Ismaël, le jeune homme qui vient de
sortir de prison, a du mal à nourrir sa petite famille. Pire encore, il doit se
battre contre l’huissier que lui envoient les avocats du premier. Là c’est à un
ton plutôt Dostoïevskien que Ceylan se livre. L’opposition entre riche et
pauvre, maitre et esclave dans le cadre d’une nature dure et méchante qui n’épargne
personne, renvoie à cette atmosphère du roman russe du 19ème siècle.
Ismaël est un personnage qui ne fait aucun compromis, soit au nom de ses
convictions soit parce qu’il a baissé les bras face à un destin impassible. Il
livre sa femme, sa mère, son frère et son propre fils à la misère, au froid et
a l’humiliation plutôt que d’accepter la charité de la femme du sieur qui, sans
le vouloir vraiment, leur inflige tous les maux.
Tous les
personnages semblent résignés à leur sort. Comme s’ils étaient pétrifiés par la
douleur, ils renoncent à leurs âmes. Aydin renonce à Istanbul comme il renonce
à dompter le cheval qu’il avait acheté ; Ismaël ne voit aucune issue à sa
misère et celle de sa famille, Nihal voit sa vie s’arrêter alors qu’elle est au
printemps de l’âge, … Il n’y a pas d’issue et la fin du film n’apporte
presque rien de nouveau par rapport à son début sinon que les personnages ont
cessé de se battre et d’espérer. C’est tragique certes, mais le tragique chez
Ceylan ne signifie pas le pathétique. C’est ainsi qu’il prend le spectateur à la
gorge.
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