Wednesday, 22 July 2009

Mustapha Alassane à Hergla


Il est plus que de l’ordre naturel des choses qu’une manifestation comme les Rencontres Cinématographiques de Hergla (05-09 août 2009) décide de rendre hommage à quelqu’un comme Mustapha Alassane. Non seulement le cinéaste nigérien est l’un des pionniers du cinéma en Afrique, mais aussi et surtout il est le père de l’animation dans le continent noir. S’il est difficile pour le cinéma en Afrique d’exister, il l’est encore plus pour un genre comme l’animation. Selon l’ordre des priorités, cela vient largement derrière tant d’autres. C’est à ce titre que notre manifestation décide cette année de consacrer une partie de son programme à ce symbole du huitième art africain. Cela est d’autant plus symbolique que dans le même programme figure un autre nom mythique de l’animation qui vient de l’Allemagne, Lotte Reiniger. Car ceci est aussi la vision de cette manifestation ; faire rencontrer des cultures, des univers artistiques de différents horizons.
Ce ne sera jamais assez lui reconnaître sa juste valeur de dire de Mustapha Alassane qu’il est l’un des pionniers du cinéma dans le continent noir. Son parcours à lui est vraiment à part. Alors qu’il était mécanicien, rien ne le destinait naturellement à un tel sort d’artiste de premier plan, qui plus est dans un domaine marginalisé, le moins que l'on puisse dire. La rencontre de Jean Rouch aurait pu à la limite le pousser à embrasser une carrière de technicien, … peut-être. Au mieux il aurait eu une carrière classique au sens de faire du cinéma comme celui de ses confrères Djibril Diop Mambéty, Sembene Ousmane, Oumarou Ganda. Là aussi il n’aurait certainement pas moins brillé.
Il n’aurait pas non plus, comme eux, manqué d’engagement. On l’entend encore répéter des phrases que cette génération de pionniers aimait certainement proférer : « …. Le cinéma peut et doit servir à modifier la mentalité de la masse. Chacun de mes films touche à la politique, ne serait-ce que parce qu'il suscite un intérêt auprès de la masse et est susceptible de lui faire prendre conscience de sa culture. Je pense que, pour le moment, le cinéma n'a pas suffisamment prouvé au monde que l'Afrique a une culture propre. Il doit pouvoir éveiller la conscience du spectateur sur des problèmes spécifiquement africains et guider l'Afrique dans une direction plus viable. » L’animation pour lui est en effet, l’équivalent des contes africains, tout simplement « édifiante », tout autant, voire plus, que les autres formes cinématographiques.
Non !!! Mustapha Alassane a préféré faire son chemin en solitaire, qui plus est, il était le seul à le faire en Afrique. Démuni de toute formation dans le domaine de l’animation et de l’image et n’ayant aucun aîné sur les traces de qui il aurait pu marcher, il se lance dans le monde du cinéma avec la seule force de sa volonté et le souffle qu’il a eu en côtoyant Jean Rouch. Un passage par l’école canadienne de l’animation plus tard avec son maître Norman McLaren l’arme de la technique nécessaire. Mais c’est à peine s’il en avait besoin de tout cela. Le reste n’est en fait qu’une affaire de discipline, de rigueur, et surtout d’une grande volonté de faire, de construire et de changer les choses.
Il accompagne la vocation qu’il a pour cet art d’une conscience de la nécessité de mettre en place une infrastructure. Car l’inspiration à elle seule ne suffit pas pour faire de l‘art il faut aussi de l’intelligence pratique, et le vieux routard de l’animation africaine m’en manque certainement pas. On penserait qu’il a élu Tahoua, la petite ville au nord du Niger, pour lieu du repos du guerrier. Non, là encore !!! C’est de là que la marche continue. Dans le petit hôtel qu’il possède, il tient son cartier général en transformant quelques-unes de ses chambres en studios et ateliers destinés à la production, mais surtout à la formation.
Avec son fils, qui est fin prêt à prendre le flambeau, et les quelques employés de sa boite de production, il s’est mis aux nouvelles technologies. Il est conscient que cela ne peut que mieux servir un art comme celui de l’animation. C’est ainsi qu’il n’hésite pas lui-même, à l’âge de soixante sept ans, à apprendre les techniques de l’animation assistée par l’informatique.
Il n’avait pas accès à tout cela, déjà en 1962 lorsqu’il n’avait pas plus de vingt ans, quant il réalisait ses premiers courts métrages ; La Bague du roi Koda et Aouré. En cela, il devançait d’une longueur, son frère d’arme, l’aîné des anciens Ousmane Sembene, qui ne réalisera Borom Sarret, son premier court métrage, que l’année suivante en 1963. La volonté lui avait alors suffi. Mais depuis, il en a vécu et fait des choses. Il en a surtout appris et continue d’apprendre encore aujourd’hui humblement et avec cette même volonté.
A son tour maintenant, il vient à Hergla pour transmettre. En lui rendant hommage à travers cette sélection, et en l’invitant à ces cinquièmes Rencontres Cinématographiques de Hergla, nous espérons créer les conditions propices à cette transmission. Les cinéphiles pourront découvrir un brin de son œuvre à travers Le Retour d’un aventurier(1966), Bon voyage Sim (1966) et Kokoa (2001). Ils auront en outre l’opportunité de l’écouter directement lors de la leçon de cinéma dans laquelle il fera part de son expérience et de la vision qu’il se fait de l’Afrique et du cinéma.

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