Saturday 9 February 2019

Yomeddine

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 Il n’est pas très fréquent qu’une première œuvre soit sectionnée en compétition officielle à Cannes. Encore moins quand il s’agit d’un film venu du Monde Arabe ou d’Afrique. Yomeddine de A. B. Shawky fait partie de cette liste d’oiseaux rares. Il est en compétition officielle cette année et concourt aussi pour la Caméra d’Or. C’est là une consécration en soi pour le cinéma égyptien indépendant. Shawky (32 ans) fait partie d’une génération de cinéastes égyptiens qui monte depuis quelques années. Il est produit par Mohamed Hefzy qui n’en est pas à sa première production indépendante qui est loin de passer inaperçue. Pensons à Microphone (2010/11) d’Ahmad Abdalla et Ali, La chèvre et Ibrahim (2016) de Sharif El-Bindari pour ne citer que deux titres.
Yomeddine a les qualités et les défauts d’une première œuvre. En plus, il partage le style et la sensibilité de cette série de films mentionnés ci-dessus. La limite entre fiction et documentaire est très fine à s’y tromper facilement. Les premières images dans un dépôt de déchets où travaille Beshay font penser tout de suite à un documentaire sur les déchetteries. On comprendra très vite que le lépreux est le héros d’une fiction sur cette catégorie de personnes exclues de la société égyptienne. On comprendra aussi que le film va encore plus loin dans la réflexion sur la valeur humaine et le sens de la vie.
Le film est un road-movie qui mène Beshay, un lépreux délaissé par sa famille dès son enfance dans une léproserie au cœur du désert égyptien, vers la découverte de ses origines. Il est accompagné par Obama, un jeune garçon qui quitte l’orphelinat  et le rejoint pour partir à la découverte du monde qui se situe en dehors de leur colonie. Les deux personnages arrivent à leur fin et retrouvent leurs origines mais choisissent de revenir de là où ils viennent. Le film transcende ainsi le thème apparent de l’exclusion d’une catégorie de personnes pour offrir une réflexion sur l’exclusion.
Beshay et Obama repartent en disant à leur société qu’ils la quittent non pas parce qu’ils sont chassés, mais par choix. Ils ont compris, au bout de cette remonté du fin fond du désert au monde civilisé, que le plus important n’est pas de vivre dans la société et d’être accepté par elle, mais l’essentiel est de vivre dans un monde cohérent. Aussi isolé qu’il soit, leur monde de lépreux, d’orphelins et de moins-que-rien a une  cohérence qui lui est propre.
Ce message fort va de pair avec la structure du film en road-movie. Le parcours des deux personnes est représenté comme une descente en enfer. Ils sont dépossédés petit à petit de tout ce qui les rattache au monde d’où ils viennent. D’abord on leur vole le peu d’argent qu’ils ont. Puis, ils sont obligés de séparer de la charrette tombée en panne. Ensuite l’âne  meurt de fatigue. En parallèle, ils ne rencontrent que haine et violence au fur et à mesure qu’ils s’approchent de leur destination : moquerie d’un groupe de jeunes qui refusent de leur indiquer le chemin, hostilités des baigneurs dans l’eau du Nil, Obama est blessé à la tête, Besahy est arrêté par la police sans raison, on essaye de leur voler la charrette et l’âne,… Ils ne reçoivent de l’aide, comme par hasard, que d’un groupe de mendiants, des exclus comme eux.
Chacune des péripéties est une occasion pour renvoyer à un aspect de la société égyptienne : l’intolérance envers la différence, le pouvoir policier, la montée de l’intégrisme, l’incohésion sociale et même le chaos administratif. Le tout est atténué par un charisme et un grand sens de l’humour que dégagent les personnages presque par nature. Même la décision de renoncer au monde, se passe sans pathétisme et dans la joie. Alors que dans le village des parents de Beshay, on fait la fête, les deux personnages rebroussent chemin parce qu’ils ont acquis la conviction que leur joie de vivre est ailleurs. La construction dramatique et le mélange de tons font que l’on oublie presque le thème de la lèpre. Le spectateur n’est pas du tout rebuté par les cicatrices sur le visage de Beshay, qui est symboliquement caché par un voile, subterfuge inventé par Obama. Ce qui reste c’est surtout cette forte volonté de vie dans la joie et cette interrogation sur le vrai sens de la vie

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