Saturday, 9 February 2019

Tunisia Factory, une opération de com pas plus


Tunisia factory a ouvert la Quinzaine des réalisateurs le 9 mai 2018 à Cannes. Cette initiative en est à sa sixième édition : Taipei Factory en 2013, Nordic Factory en 2014, Chile Factory en 2015,  South Africa Factory en 2016,  Lebanon Factory en 2017. Quatre jeunes réalisateurs tunisiens se sont donc associés à quatre autres venant de différents autres pays pour écrire et réaliser quatre courts métrages de 15 minutes chacun. Ils ont été accompagnés par un groupe de producteurs locaux. Chaque année cette opération est particulièrement attendue. La quinzaine qui a fait connaitre tant de cinéastes de talents et qui sont devenus célèbres, fait de la place à de jeunes qui font leurs premiers pas. Cela reste cohérent par rapport au principe de cette section qui est la découverte de nouveaux talents. Toutefois…
L’un des arguments de la factory est de propulser la production locale. Or, les différentes éditions de cette opération ont eu lieu, jusqu’à maintenant, dans des pays où la production connait déjà une grande dynamique. Et la Tunisie n’échappe pas à cette règle. Donc ne s’agit-il pas là plutôt de consécration plutôt que stimulation. Tout à l’air d’une volonté de vouloir se greffer sur une dynamique qui est déjà en marche. On notera ainsi que les producteurs sélectionnés pour la Tunisia factory sont  ceux qui ont été derrière les grands succès du cinéma Tunisien des dernières années. De même, les jeunes cinéastes élus occupent déjà le devant de la scène cinématographique nationale.  Et les cinéastes non tunisiens sont tous engagés dans des productions personnelles en court. Il y a lieu de se demander que peut apporter une telle opération à de tels cinéastes ?
Quel sens a le fait d’écrire à deux/quatre mains des histoires qui doivent être purement tunisiennes ? Quelle sensibilité pourrait avoir un cinéaste Sri-Lankais pour s’imprégner, à distance d’une histoire venue d’un pays qu’il ne connait pas du tout ou à peine ? C’est le cas dans «L’Oiseau bleu» de Rafik Omrani (Tunisie) et Suba Sivakumaran (Sri Lanka). Quand on ne connait pas un lieu, on ne peut y camper de belles histoires. Conséquence on assiste à une histoire qui tient à peine debout. On peut considérer que certains thèmes sont universels comme  dans «Leila’s Blues» d’Ismaël Louati (Tunisie) et Fateme Hamadi (Iran). Mais là on est plutôt face à des exercices de style, pour ne pas dire d’école, pas plus. Un scénario bien écrit mais vide quand ce n’est pas entaché d’un peu trop moralisme.
Heureusement qu’«Omerta», de Meriem El Ferjani (Tunisie) et Mehdi Hamnane (France) sauve la mise. Bien que traitant de thèmes bien usés tel l’émigration il-légale, il reste authentique, les deux cinéastes venant d’horizons proches et pour qui le sujet est certes familier. C’est un film sur la jeunesse tunisienne libérée dans le contexte après révolutionnaire et aspirant vers le mieux. A l’image du pays entier, il y a des forces qui empêchent l’envol. Dès les premières scènes, les personnages sont désabusés et ne se font aucune illusion d’espoir. La fin du film vient confirmer cette atmosphère d’étouffement annoncée au départ en sourdine. Après la disparition de l’un des jeunes provoquant l’embarras du groupe, ce dernier est rattrapé par des policiers qui arrivent sur la plage et qui les somment de s’arrêter. Les jeunes sont tentés de s’enfuir, seule la sœur du disparu, dont la vie devait connaitre un tournant heureux, car elle devait partir étudier en France, s’arrête, se retourne et se prépare à la confrontation de la réalité. Tout est dit sur l’impasse de cette société dans ce court moment de chute finale.
Il y a du bon et du moins bon, soit. Toujours est-il, il s’agit plutôt d’une opération de production ou de com à la limite. N’aurait-il pas été mieux de donner à ces jeunes les moyens de développer leurs propres projets que de les mettre dans des dispositifs de production qui freinent leur imagination ? Qu’on parle d’une nouvelle manière de production, semble un peu trop exagéré. Le talent a besoin de moyens de production et surtout de liberté pour raconter des histoires authentiques qui lui ressemblent. Les astuces de production n’en manquent pas. Que celui de la Factory soit présenté comme un truc génial, j’en suis peu convaincu.

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