Tunisia factory
a ouvert la Quinzaine des réalisateurs le 9 mai 2018 à Cannes. Cette initiative
en est à sa sixième édition : Taipei Factory
en 2013, Nordic Factory en 2014, Chile Factory en 2015, South Africa Factory en 2016, Lebanon Factory en 2017. Quatre jeunes
réalisateurs tunisiens se sont donc associés à quatre autres venant de
différents autres pays pour écrire et réaliser quatre courts métrages de 15
minutes chacun. Ils ont été accompagnés par un groupe de producteurs
locaux. Chaque année cette opération est particulièrement attendue. La
quinzaine qui a fait connaitre tant de cinéastes de talents et qui sont devenus
célèbres, fait de la place à de jeunes qui font leurs premiers pas. Cela reste
cohérent par rapport au principe de cette section qui est la découverte de
nouveaux talents. Toutefois…
L’un des
arguments de la factory est de propulser la production locale. Or, les
différentes éditions de cette opération ont eu lieu, jusqu’à maintenant, dans
des pays où la production connait déjà une grande dynamique. Et la Tunisie
n’échappe pas à cette règle. Donc ne s’agit-il pas là plutôt de consécration
plutôt que stimulation. Tout à l’air d’une volonté de vouloir se greffer sur
une dynamique qui est déjà en marche. On notera ainsi que les producteurs
sélectionnés pour la Tunisia factory sont
ceux qui ont été derrière les grands succès du cinéma Tunisien des
dernières années. De même, les jeunes cinéastes élus occupent déjà le devant de
la scène cinématographique nationale. Et
les cinéastes non tunisiens sont tous engagés dans des productions personnelles
en court. Il y a lieu de se demander que peut apporter une telle opération à de
tels cinéastes ?
Quel sens a le
fait d’écrire à deux/quatre mains des histoires qui doivent être purement
tunisiennes ? Quelle sensibilité pourrait avoir un cinéaste Sri-Lankais
pour s’imprégner, à distance d’une histoire venue d’un pays qu’il ne connait
pas du tout ou à peine ? C’est le cas dans «L’Oiseau
bleu» de Rafik Omrani (Tunisie) et Suba Sivakumaran (Sri Lanka). Quand on ne
connait pas un lieu, on ne peut y camper de belles histoires. Conséquence on
assiste à une histoire qui tient à peine debout. On peut considérer que certains thèmes sont universels
comme dans «Leila’s Blues» d’Ismaël Louati (Tunisie) et Fateme
Hamadi (Iran). Mais là on est plutôt face à des exercices de style, pour ne pas
dire d’école, pas plus. Un scénario bien écrit mais vide quand ce n’est pas
entaché d’un peu trop moralisme.
Heureusement qu’«Omerta», de Meriem El
Ferjani (Tunisie) et Mehdi Hamnane (France) sauve la mise. Bien que traitant de
thèmes bien usés tel l’émigration il-légale, il reste authentique, les deux
cinéastes venant d’horizons proches et pour qui le sujet est certes familier.
C’est un film sur la jeunesse tunisienne libérée dans le contexte après
révolutionnaire et aspirant vers le mieux. A l’image du pays entier, il y a des
forces qui empêchent l’envol. Dès les premières scènes, les personnages sont
désabusés et ne se font aucune illusion d’espoir. La fin du film vient
confirmer cette atmosphère d’étouffement annoncée au départ en sourdine. Après
la disparition de l’un des jeunes provoquant l’embarras du groupe, ce dernier
est rattrapé par des policiers qui arrivent sur la plage et qui les somment de
s’arrêter. Les jeunes sont tentés de s’enfuir, seule la sœur du disparu, dont
la vie devait connaitre un tournant heureux, car elle devait partir étudier en
France, s’arrête, se retourne et se prépare à la confrontation de la réalité.
Tout est dit sur l’impasse de cette société dans ce court moment de chute
finale.
Il y a du bon
et du moins bon, soit. Toujours est-il, il s’agit plutôt d’une opération de
production ou de com à la limite. N’aurait-il pas été mieux de donner à ces
jeunes les moyens de développer leurs propres projets que de les mettre dans
des dispositifs de production qui freinent leur imagination ? Qu’on parle
d’une nouvelle manière de production, semble un peu trop exagéré. Le talent a
besoin de moyens de production et surtout de liberté pour raconter des
histoires authentiques qui lui ressemblent. Les astuces de production n’en
manquent pas. Que celui de la Factory soit présenté comme un truc génial, j’en suis
peu convaincu.
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