Saturday 11 September 2010

Kechiche met la barre au plus haut.


A Venise la Tunisie est représentée par deux de ces enfants : Raja Amari est membre du jury de la section Horizzonti et Abdellatif Kechiche vient présenter sont quatrième long métrage, Venus Noire, en compétition officielle. Les deux réalisateurs sont en fait des habitués de la Biennale. Il y sont très souvent venus. Le nouveau film de Kechiche est particulièrement attendu cette année non pas parce que ce réalisateur a toujours eu du succès au Lido, mais parce que le sujet du film est extrêmement spécial cette fois.
Kechiche a choisi de raconter une histoire qui remonte au début du 19ème siècle. Mais il ne s’agit pas d’un film historique au sens traditionnel du terme. Les évènements commencent certes en 1815. Le film reconstitue par les costumes, les accessoires et les décors en effet l’atmosphère de l’époque. Mais Kechiche reste profondément plongé dans une actualité brulante, puisque son personnage meure à cette époque-là, mais il n’est enterré qu’en 2002. L’histoire est l’une des plus intrigantes de notre époque et l’une de celles qui traduisent avec une grande éloquence l’absurdité des rapports entre les différences.
Venus noire est l’histoire vraie de Sarah Bartman dite « Saartjie », une femme vraiment pas comme toutes les autres, pas comme nulle autre. Charles Baudelaire l’avait nommée « la maitresse des maitresses ». Dans sa vie elle en a vu de tout. Esclave chez les afrikaans en Afrique du Sud, puis domestique, elle est amenée à Londres pour être exposée comme une curiosité de foire. Ensuite elle fait l’objet des caprices de la hautes société parisienne avant de faire l’objet d’investigations scientifiques sur les traits curieux de son anatomie.
A cette époque le rapport final servit d’arguments pour les esprits tordus qui cherchaient à justifier leur comportement et politique colonialistes en s’appuyant sur des idées racistes et absurdes. Au début des années 90, et à la fin du régime aberrant de l’Apartheid, l’Afrique du Sud gouvernée par l’ANC, le parti de Nelson Mandella, réclame à la France les reste du corps de la femme au sort bizarre. Jusqu’ici les organes et les squelette étaient exposés au Musée de l’Homme à Paris et en était la propriété.
Il semblerait que la restitution symbolique de ce corps à sa terre natale avait suscité chez Abdellatif Kechiche une réflexion sur l’actualité des rapports entre le Nord et le Sud et plus précisément entre l’Europe, son passé coloniale, et sa politique actuelle à l’égard du continent noire. Sarah Bartman dans le film est plus qu’une réalité historique, elle est une réalité politique non pas au sens étroit mais au sens le plus profond. La Vénus noire est la métaphore de cette Afrique admirée, aimée mais aussi usée et exploitée jusqu’à l’os au sens propre et au figuré.
Depuis son jeune âge dans le petit village prés de Cup Town où elle est née, Sarah a servi des homme blancs. D’abord esclave, puis mariée à un afrikans qui la largue. Celui qui la prend comme domestique ensuite lui fait miroiter le succès et la gloire en la faisant monter sur scène comme un monstre exotique dans la foires européenne tout en lui faisant croire que c’est le chemin vers le monde du spectacle. Son corps qui devait être sa richesse en est devenu une malédiction. Après avoir été montré comme une curiosité, il servira de chaire à consommer dans les maisons closes des bas fonds parisiens. Ayant pris en elle tous les maux du monde, elle s’éteint alors qu’elle n’avait pas encore la trentaine.
Mais l’exploitation mercantile de ce corps magique ne s’est pas arrêtée avec la fin des souffrances de la vie. Au-delà de la mort, l’Europe et ses scientifiques, continuera a puiser ce qui est encore utilisable en elle. De son vivant, Sarah n’a jamais autorisé les scientifiques regroupés autour du professeur George Cuvier de s’approcher de ses organes génitaux. Lorsqu’elle est morte, l’Académie Royale de Médecine s’est procuré de la manière la plus minable la dépouille qui servira à justifier les inégalités qui sévissent encore sur l’ordre du monde. La mutilation du cadavre de la Hottentot Noire est présentée par Kechiche comme le viol le plus abominable à l’image de toutes les violences et les absurdités que l’Afrique continue de subir au nom de l’aide au développement. Plus qu’un film de reconstitution historique, Venus noire est donc une mise au point sur l’aberration des rapports entre les différences quand ceux-ci sont régis par la soif du pouvoir et du profit sans reconnaitre aucune limite.

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