Friday 19 December 2008

Afrique, la géographie de la douleur.


Les derniers documentaires que j’ai vus récemment m’ont amené à une idée qui s’impose de plus en plus : Une certaine image de l’Afrique s’est constituée à partir de ses blessures. Celle-ci a été montée de toutes pièces par les médias mais aussi par le cinéma. L’Afrique aurait une géographie de la douleur et toute tentative de la représenter passerait inéluctablement, ou presque, par le pathétique.
L’un des derniers documentaires, Episode three, enjoy poverty, tourné au Congo par Renzo Martins évoque ce rapport complexe entre les maux de l’Afrique et son image. Le vidéaste hollandais démontre d’une manière crue, et cruelle en même temps, jusqu’à quel point l’articulation de la représentation sur la réalité est absurde.
Dès qu’il s’agit de filmer la douleur, il y fatalement une question de morale qui se pose. Face à cela les cinéastes sont naturellement divisés en fonction de la distance que chacun prends à l’égard de son objet. Il y a ceux comme Le cauchemar de Darwin de Hubert Sauper qui, par son analyse clinique, est comme un cri de révolte contre l’injustice. L’enquête que le documentariste allemand fait sur le marché du poisson dans la région des grands lacs est d’une froideur qui éveille la conscience par le choque des images crues.
Il y a ceux aussi pour qui la réalité africaine est un sujet à sensation. Filmer la faim ou la guerre reviens à une simple image à exhiber. Darfur, une guerre pour l’eau des Slovènes Tomo Kriznar et Maya Weiss n’a presque rien de cinématographique. Mais le fait que ces européens se trouvent au cœur de l’action est un sujet à sensation. Il en a été de même avec les journalistes de CNN embarqués sur les véhicules militaires à côté des soldats américains lors de l’invasion de l’Iraq.
Jusqu’où ira-t-on dans la représentation du mal si on n’est pas conscient de la bonne distance à observer. Or peu de cinéastes ont eu cette conscience. Il faudra se rappeler les excellents documentaires sur la guerre au Tchad de Raymond Depardon. Le même cinéaste réalisera un film manifeste sur la bonne distance nécessaire quand il s’agit de filmer l’Afrique. L’Afrique comment ça va avec la douleur est une autobiographie de cinéaste dans laquelle Depardon revient des années après son passage par le continent noir depuis l’Afrique du Sud jusqu’aux côtes méditerranéennes.
Abbas Kiarostami se rendra compte de cette distance salutaire lors du tournage de ABC Africa. Le cinéaste iranien parti faire son repérage pour un film à tourner ultérieurement est envahi par des images tellement fortes qu’il décide de s’en tenir à elles pour les laisser parler en lui. Dans ses deux derniers exemples c’est l’Afrique qui prend la parole à travers leur travail. Ce ne sont pas eux qui parle de l’Afrique, ou pire, qui la prennent pour prétexte pour parler d’eux-mêmes.
L’exemple le plus éloquent de ce point de vue c’est 7915 km de Nikolaus Ceyrhalter. Le film consiste en une série de plans fixes où la parole est donnée à un personnage, lequel devient le porte parole du continent. Il est bien question de ce qui fait mal à l’Afrique mais c’est dit avec dignité. Certes, les problèmes de pauvreté, d’émigration, d’injustice sont évoqués, mais ils le sont aux côtés des efforts faits pour avoir une vie meilleure tout en croyant au potentiel local.
Le documentaire a souvent, très souvent, comme point de départ une idée / image forte. Malheureusement l’image de la souffrance est celle qui est la plus part du temps la plus attrayante pour les chasseur d’images. Mais la chasse a ses règles, et la règles la plus importante est celle de la distance. Celle-ci peut avantager le chasseur contre sa proie, comme elle peut le mettre en danger. Le documentariste qui ne respecte pas la bonne distance dans la représentation de l’Afrique se fait brûler. Il ne peut que reproduire des idées reçues, des images, et même fausses images, que le spectateur a déjà.

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